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Chronique : Gamerama invité à l'enterrement du jeu vidéo

Réflexions hautement philosophiques - Par Ashram - 09 Novembre 2007 09:55:26

Quand tout s'écroule, que tout le monde perd ses repères, quand le jeu vidéo est retrouvé se balançant mort au bout d'une corde un froid matin de janvier, il y a d'abord un profond sentiment de tristesse, une sale odeur de vomi aussi. Ensuite vient la période de deuil. Gamerama a été choisi pour faire l'éloge funeste.

Ne tire pas ces grands yeux globuleux jeune internaute, si tu parcours ces lignes, au sein de cet endroit dernier repaire d'une résistance déjà périmée, c'est parce que tu as toi aussi le nez empli des gaz émanant de ce grand corps en décomposition.

Le jeu vidéo est mort.


Bordel ça ferait un superbe gros titre à la une du Monde ou de Libération, avec plein de témoignages bouleversants, Michel Sardou derrière des lunettes noires et un discours plein de belles choses de la part de notre Président. Sauf qu'ici c'est le jeu vidéo et que tout le monde s'en branle.

En fait si Gamerama n'existait pas, cette triste disparition pourrait presque passer inaperçue, tant la presse dite spécialisée la passe sous silence, faisant comme si de rien n'était.

Il y a une bonne raison à cela: c'est cette même presse qui est l'assassin. Là où ce gros con de Navarro aurait mis une heure trente à trouver le coupable, Gamerama vous le désigne après quelques lignes.

Petit retour en arrière. Deux mille cinq, le jeu vidéo est à son apogée. Le cinéma fait les yeux doux à la plupart des grosses licences, des oeuvres telles qu'Ico ou Shadow of The Colossus sont saluées dans les médias dits "intellectuels". Harry Gregson Williams signe la bande originale de metal Gear Solid.

Le point culminant de dizaines d'années de détriment du jeu vidéo. Ce loisir n'est plus seulement une activité pour autistes, frustrés sexuels ou ados boutonneux asociaux, il n'est plus seulement le responsable des tueries dans les lycées Américains, il devient presque un art à part entière, reconnu aux côtés du cinéma et de la musique.

La technique et l'imagination de certains développeurs permet une véritable représentativité de ce média aux yeux du monde. On ne voit plus seulement dans le jeu vidéo deux pixels qui se battent en duel, mais on peut admirer certaines oeuvres s'exprimer. Des tournois mondiaux sont organisés, des récompenses décernées, le jeu vidéo est florissant.

Le secteur voit trois constructeurs tirer l'industrie vers le haut, essayant tant bien que mal de se partager le marché. L'E3 est la grande messe mondiale de ce loisir, une véritable vitrine de ce qu'il est devenu, de ses ambitions mais aussi de son prestige et de sa puissance.

Pourtant, les journalistes sont blasés. Assez ironique quand on sait que cette situation exceptionnelle du jeu vidéo leur offre un véritable avenir fait de stabilité professionnelle. Dix ans en arrière, des pans entiers du métier du jeu vidéo tombaient, des succurcales fermaient, des magazines mettaient la clé sous la porte.

Passer ses journées à jouer à des jeux inlassablement, enchaîner les titres sans réelle conviction, pour le business, parce que c'est le gagne-pain, voilà peut-être les raisons de cette morosité de départ. Comment prendre du plaisir quand on doit enchaîner le bon et le moins bon, à un rythtme d'enfer?

Quand jouer devient quelque chose d'industriel, et non plus un loisir, alors quelque chose se casse. La personne ne voit plus le jeu comme une oeuvre derrière laquelle une équipe a bossé parfois longtemps. Il voit son jeu comme le mécanicien voit la voiture qui lui est confiée: un outil de travail. Plus il fait de voitures dans la journée, plus il gagne sa vie, plus vite il est rentré chez lui. L'envers du décor c'est que le mécanicien en a un peu plein le cul à force de ne faire que ça à longueur de journée.

Le journaliste en a donc marre. Il aimerait changer de métier, mais difficile de se séparer d'une profession dont les journées se résument à tâter du joypad. Accessoirement il pond sa review, ce qui lui vaut le qualificatif de journaliste. Ne nous y trompons pas: les journalistes se comptent sur les doigts d'une main dans le métier. Généralement il s'agit des Chefs de Rédaction, et encore. Il suffit d'avoir une bonne plume et de connaître un tant soi peu l'orthographe (quand un correcteur ne passe pas derrière) pour se prétendre journaliste. En réalité à peine 3% des gens du métier doivent sortir d'une école de journalisme et posséder une carte de presse.

Quand cette année-là Nintendo se sait fini sur le marché des consoles de salon et tente le quitte ou double avec la Wii, la presse est interpellée. On pense dans un premier temps à l'avènement de la réalité virtuelle, certains fakes sont même très convaincants. Un buzz mondial s'empare de la profession jusqu'à l'E3 deux mille six.

A la une de toutes les éditions spéciales des sites web, des magazines, on pouvait lire les chroniques dithyrambiques de cette fameuse Wii, la console révolutionnaire, celle qui allait enfin sauver le jeu vidéo qui n'avait pas besoin de l'être. La couverture de cette édition a été la plus grotesque jamais effectuée: presque aucun mot sur les autres jeux, encore moins sur les studios "indépendants", on ne pouvait lire que des avis de personnes qui n'avaient joué à rien, mais qui trouvaient cela excellent.

Oui, le journaliste avisé n'a eu aucun jeu entre les mains (ces jeux on les attend toujours aujourd'hui d'ailleurs), juste des bribes de démos qui permettaient de s'astiquer en public, Wiimote à la main. On n'a retenu de cet E3 que la sortie de cette console sans jeux, les éditeurs du monde entier en ont été pour leurs frais.

Tellement pour leurs frais que cela a précipité presque instantanément l'E3 dans l'oubli. A quoi bon investir des milliers de Dollars dans des démos, des stands et des présentations de jeux quand un constructeur fait le spectacle à lui seul en ne présentant rien?

L'E3 deux mille sept s'est donc déroulé dans un vulgaire garage, avec quelques attachés de presse venant servir leur discours sans grande conviction. Trop tard le mal était fait. Le jeu vidéo c'était le spectacle mais surtout les jeux et un constructeur, avec l'aide criminelle de la presse aussi critique qu'un touriste Japonais sur les Champs Elysées, a réussi à tuer tous les autres acteurs.

Nintendo n'en était pas à son premier coup d'essai puisque déjà à l'époque de la domination de sa Super NES, il étouffait les tiers avec des royalties abyssales. Il faut se réjouir: en cette année deux mille sept, l'empereur est de retour.

Moins d'un an après où en sommes nous?

Le marketing savamment orchestré par la presse mondiale a réussi son coup: Monsieur tout-le-monde joue au jeu vidéo, ou du moins il le croit. Le marché s'est donc élargi, les fameux non-joueurs sont devenus maintenant un public à conquérir. Notez bien que l'on avait pas attendu la Wii pour ça puisque des softs comme Singstar, Eye Toy ou Buzz s'en chargaient, PES aussi dans une moindre mesure. Ce n'était pas assez, il fallait aussi faire jouer le grand-père et la mamie sénile que personne n'a envie d'inviter dans les fêtes de famille.

Comme le très grand public n'y connaît rien en jeu vidéo, il faut adapter ce loisir. Finis les jeux compliqués demandant de l'adresse ou de la réflexion: il faut repenser le pad. Quatre boutons maximum pour que de sept à soixante dix-sept ans n'importe qui puisse coordonner son cerveau sur l'action à effectuer. Cela est un raz-de-marée. Toi, joueur de longue date, tu n'y trouves plus ton compte mais cela n'a aucune importance car tu ne rapportais plus assez.

Car "fabriquer" un jeu selon les techniques actuelles, donner aux développeurs les moyens d'exprimer leur talent et leur ambition, cela a un coût, pas forcément rentable.

Développer un titre facile et accessible, non seulement c'est rapide, ça ne demande pas de talent particulier (puisqu'il suffit juste de copier-coller un party game ou un brain trainer) et ça rapporte très, très, très gros!

Un modèle économique est né. Celui de la rentabilité maximum. Rentabilité sur les jeux, mais rentabilité sur le matériel aussi. Avec la Wii, c'est s'assurer environ 100$ en poche à chaque passage en caisse. Violer le consommateur est une excellente idée. Ce nouvel acheteur ne connaît rien au marché, rien aux prix, et pour lui 250$ pour pouvoir s'amuser dans son salon avec sa télécommande, c'est raisonnable. Il s'en tape des graphismes puisque sa femme et sa fille peuvent jouer. Dit comme ça ce n'est pas con.

Ca devient con à partir du moment ou ce modèle vampirise le modèle dit "classique". Les développeurs qui suivent les ventes se rendent compte que vous et moi nous sommes un public trop exigeant à satisfaire, qu'à côté de nous il y a des millions de personnes qui se contentent de jeux Mc Donald's: prémâchés, pensés pour vous, sans saveur. On consomme rapidement puis on achète vite la suite.

Semaine après semaine on se rend un peu plus compte de l'ampleur du phénomène: des développements cessent, les éditeurs n'ont pas envie de se défoncer pour tirer capacité des machines next gen, les remakes trustent les charts.

Les journalistes ont finalement eu ce qu'ils voulaient et pourtant ils se plaignent de nouveau. Ce sont pourtant eux qui participent jour après jour à la stratégie de communication de ces nouveaux fossoyeurs du jeu vidéo. L'apologie du casual est devenue la règle. D'ici deux ans ils regretteront sans doute cet état de fait mais il sera trop tard. Il est déjà trop tard d'ailleurs le mal est déjà fait.

Il faut s'habituer au fait jeu vidéo tel qu'on le connaissait est devenu une denrée périssable, de plus en plus rare, et que les oeuvres sur cette génération risquent de se compter sur les boutons d'un pad Wii. S'y habituer ne veut pas dire cautionner, et pour cela Gamerama restera toujours vigilant.



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