Homme déconstruit
b3y0nd

Pathologic 2

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best survival horror ever
best RPG ever
best immersive sim ever
best game ever

S.T.A.L.K.E.R. x Dostoïevski x Planescape Torment x La Peste x Brecht

Incroyable. Le genre d'expériences pour lesquelles je joue au JV.



Le jeu se déroule au début du XXème siècle dans La Ville-sur-Gorkhon, une cité industrielle mineure localisée dans les steppes russes reculées loin de tout pôle urbain majeur. L'économie de cette bourgade repose sur un énorme Abattoir de viande bovine qu'elle envoie ensuite à la Capitale en échange de denrées et biens de premières nécessités. Cependant, au tournant du siècle et en ligne avec le bouillonnement intellectuel de l'époque en Russie (anarchisme, futurisme, etc..), la ville est aussi le lieu d'élégie de la famille Kain, fratrie de visionnaires qui entendent transcender la condition humaine et pour ce faire ont constitué un mini phalanstère en faisant venir d'éminents artistes, mathématiciens, architectes, afin de défier les lois de la morale et de la physique, ambition notamment illustrée par l'édification du Polyhedron, structure impossible et cyclopéenne défiant les lois de la logique et protubérance de la ville touchant les cieux. Avec les Olgimsky, magnats propriétaires de l'abattoir, et les Saburov, détenteurs désignés du pouvoir politique, les Kain constituent l'une des trois familles qui exercent un magistère moral, économique et civique sur la ville et sa population, mais aussi sur les Kin, peuple des steppes immémorial et société holiste animiste qui doit désormais partager son territoire avec les hommes et institutions du progrès.


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La Ville. Quelle est cette structure au loin ?

La ville est reliée à la civilisation et à la Capitale via un unique chemin de fer, véritable cordon ombilical reliant cet ilôt de civilisation dans une lande désertique à la civilisation rutilante, en proie à une guerre civile totalement étrangère à notre bourgade. C'est par le train qu'arrive notre héros, Artemy Burakh, étudiant en médecine fils d'un très grand docteur de la Ville qui revient sur ses terres d'enfance à la demande express de son père. Problème, il se rend compte en arrivant que son père a été assassiné, mais aussi et surtout que la ville est sur le point de basculer dans une épidémie de peste dévastatrice à l'origine a priori surnaturelle.
Dénommé Haruspice (ou Haruspex en anglais), du titre des devins de la Rome antique lisant l'avenir dans les entrailles d'animaux, le protagoniste (toi, le comédien ?) aura 12 jours pour, au choix (?), résoudre l'assassinat de son père, découvrir l'origine du mal qui a fait basculer la cité dans l'horreur, trouver un remède, sauver les personnes que tu peux sauver.

A partir de ce synopsis intrigant (mais qui ne présente le jeu que sous sa couche de narration la plus immédiate) et déjà à 90% supérieur aux autres JV, le jeu déploie un game design d'une cohésion absolue, où tous les éléments concourent d'un même mouvement pour servir la narration et les thèmes du jeu, d'une manière à mon sens inégalée : et notamment le thème de la dégradation et la corruption du corps : le corps organique de tout être vivant bien sur, à commencer par le protagoniste, mais aussi le corps social, le corps spirituel des sociétés et des civilisations.

Car c'est bien ces corps et la prévention de leur dégradation qui seront au centre du gameplay, qui est résolument celui d'un survival qui n'aura de cesse de devenir de plus en plus impitoyable au fur et à mesure de la progression.

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Ce menu me traumatisera encore longtemps

Il y a ainsi 5 paramètres à gérer : la santé, la faim, le niveau d'infection/immunité, la soif, le sommeil. La faim et le manque de sommeil impactent la santé. Dormir te remonte la santé et ton immunité, mais augmente énormément ta faim. La baisse du niveau d'immunité te rend vulnérable à l'infection, qui te nique la santé. Tu peux baisser le niveau d'infection en prenant des médicaments, mais là aussi ça te nique la santé. Manger et boire des éléments infectés font baisser ta soif et ta faim, mais font augmenter ton niveau d'infection, etc etc.. Bref, tout le jeu est contraint par l'entretien de ces jauges, nécessitant l'obtention de nourriture, d'eau, de médicaments, d'équipements, etc pour survivre.. obtention qui occupe une grande part de l'expérience de jeu, au détriment d'une sixième jauge à gérer, invisible mais la plus essentielle :

Le Temps

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Putain d'horloges

On touche là à un des aspects les plus forts et les plus uniques du jeu, qui est qu'il se déroule entièrement en temps réel, quelles que soient tes actions effectives, ce qui, pour un titre narratif à mi chemin entre le RPG et le survival horror, me semble assez inédit (à part Pathologic 1 bien sur dont le 2 est le remake). 12 jours te sont donc offerts, chaque jour représentant 2 heures en temps réel (modulo quelques subtilités) donnant des playthrough de 24h en tout sans compter les morts (là aussi avec les subtilités).

Et c'est à partir de tout cela que se met en place la mécanique infernale.

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1ère bonne idée : reprendre l'astuce des souls de mettre du lore dans les descriptions d'objets | 2eme bonne idée : ne pas reprendre grand chose d'autre

Pathologic 2 se joue peu ou prou comme un RPG Bethesda à l'ancienne, une excellente écriture en plus : un monde ouvert en permanence (tous les bâtiments de la ville peuvent être visités), un cast très élargi, de nombreuses quêtes entremêlées, une non linéarité presque totale.

Le twist, c'est que ce fameux système de ressources et de contraintes temporelles retourne contre toi presque chacun des préceptes de game design établis et ancrés en chacun de nous que nous avons inconsciemment intériorisés:
- le monde du jeu comme écrin de contenu gratifiant à consommer au rythme qui te convient
- un système inéluctable d'accumulation de logique capitalistique qui tourne sur la boucle très simple : temps investi / travail du joueur -> gains (de ressources, d'XP, d'argent in game) -> réinvestissement du gain pour maximiser un gain futur (point d'xp, barre de vie augmentée, progression narrative, etc.)
- la stabilité des règles du jeu, menant à la maitrise de l'espace et au contrôle du joueur sur son expérience

Au contraire, Pathologic 2 creuse une éthique de la dépossession en te glissant dans un inconfort de plus en plus difficile à expérimenter, via la mise en place d'une économie prédatrice et oppressive que je n'ai jamais vue dans un autre jeu. Le temps premièrement est ainsi contraint par deux choses : la dispersion géographique des quêtes dans la ville, chaque lieu demandant un investissement en temps que tu ne peux pas consacrer à autre chose, mais aussi la nécessité de se subsister et de garder ces fameuses jauges à flot. Doit on risquer un long trajet à l'autre bout de la ville pour aller soigner un ami d'enfance, au détriment d'une piste sur l'assassin présumé de son père capturé dans la prison locale ? N'est-il pas préférable de consacrer une heure ou deux à trouver un bout de pain ou une bouteille de lait supplémentaire pour calmer sa faim ? mais peut être que votre personnage meurt de fatigue, et qu'il n'y ait pas le choix de devoir dormir faute de mort, au détriment des deux quêtes narratives timées et qui ne seront plus disponibles à votre réveil. Tu dois en permanence revoir tes priorités en fonction des personnages, des quêtes, des quartiers infectés, des distances à parcourir, des ressources à ta disposition, au risque de te couper de lignes narratives entières, de perdre des personnages cruciaux, voire de te softlock dans des situations de tension extrême dont il devient très difficile de s'extirper.

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Aller récupérer son argent au nord dont on a tant besoin, ou découvrir l'origine de l'Urdugh en allant à l'est ?

La complication étant que le jeu raconte la lente tombée d'une ville dans l'horreur au fur et à mesure que l'épidémie se répand. Pathologic 2 décrit le déchirement du tissu social face à l'adversité, la fragilité des institutions et des figures d'autorité face aux crises imprévues, le désespoir et le repli sur soi suite à l'abandon des structures collectives, la reprise en main brutale et violente par les institutions supérieures. Chaque jour qui s'écoule ingame entraine une modification des structures de pouvoir, des valeurs morales, de la valeur des choses.

Cela ne s'illustre nulle autre part que dans l'économie réelle du titre qui, contrairement à de nombreux autres titres comme vu au dessus qui présentent une économie gratifiante à l'attention du joueur, ici est un véritable facteur d'asservissement qui t'étrangle peu à peu. Au début du titre, les commerces fonctionnent normalement, mais à mesure que la ville est mise en quarantaine, que l'abattoir soit placé en quarantaine, que les trains arrêtent d'arriver à la gare, les denrées se raréfient grandement, et les prix font face à une inflation démente, la nourriture notamment faisant x3, x4, pressurisant le joueur au maximum. En réaction se mettent en place une économie parallèle de troc, qui renverse totalement le système d'échange, un sachet de billes pouvant ainsi représenter une valeur immense aux yeux d'un enfant, disposé à nous l'échanger contre un bijou de valeur qui pourra nous permettre de faire face à l'augmentation des prix du poisson. Mais un marché noir se déploie aussi, promouvant implicitement une montée en violence des comportements, à commencer par celui du joueur. En effet, les prix des couteaux, surins, lames, balles, et mêmes organes (!) renchérissent et constituent une réserve de valeur de plus en plus précieuse pour continuer d'acheter à manger. A mi parcours, PATATRA, LES AUTORITES METTENT EN PLACE UN RATIONNEMENT DE LA NOURRITURE, nullifiant presque d'un cout d'un seul la valeur monétaire durement accumulée par le joueur les jours précédents. Quelle douille de se pointer au magasin et de se voir apposer un refus car on a pas de ticket de ration, alors même qu'il nous reste en tout et pour tout de quoi bouffer pour 2h.

Le discours politique et la perversité du jeu se découvrent ainsi graduellement, le joueur se retrouvant contraint de travailler pour les autorités qui deviennent de plus en plus violentes, consacrant du temps à des tâches qu'il méprise au détriment de la recherche d'un remède, du sauvetage d'un PNJ d'importance (qui peut passer à la trappe si le temps s'écoule), tout cela pour assurer sa survie.

Mais cela ne s'arrête pas là, car l'épidémie continue de se répandre, les rues deviennent de moins en moins sures, des rodeurs notamment attaquent sans prévenir face aux pénuries, les risques d'infection se multiplient, des PNJ te mentent dans leur propre intérêt, et il devient de plus en plus difficile de mener à bout ses quêtes. Le jeu te contraint de plus en plus à un égoisme sans retour, où la possibilité de tuer, de voler, de conserver les médicaments pour toi, la nourriture pour toi, d'assassiner un mourant dans la rue pour lui voler deux maigres noisettes et son foie, de te prostituer face à la force armée en échange de tickets, devient de plus en plus pressante. Alors même que ton rôle est de maintenir ensemble les lignes qui parcourent cette société, tout devient de plus en plus difficile, de plus en plus éprouvant, et tu sombres malgré toi dans une spirale de l'échec, d'autant plus que la mort même (fréquente, plus de 20 dans ma partie) te pénalise à chaque fois et exerce un véritable effet sur le monde.

Le résultat est que ton horizon de temps se rétrécit, que tu te laisses à abandonner des personnages qui te sont chers, des lignes de quêtes qui t'intéressaient, car tu dois avant tout survivre. Les parties deviennent plus frénétiques au fur et à mesure que les jours s'avancent, tes objectifs immédiats supplantent tes plans de long terme. Ainsi, même les choix que tu veux effectuer ne t'appartiennent pas car tu peux ne pas être en mesure de les réaliser.

Thomas Grip, directeur créatif de Frictionnal Games derrière Amnesia et SOMA, développe tout un discours intéressant autour du "modèle mental" du joueur qui serait le véritable centre de l'expérience de jeu. Je paraphrase horriblement, mais il dit que le game design et le gameplay ne vaudraient pas grand chose en eux même mais seulement en ce qu'ils permettraient au joueur de se créer un univers des possibles aussi riche et développé que nécessaire. Voici un résumé récent appliqué à l'horreur:

Cela s'applique parfaitement à Pathologic 2, dont le "modèle mental" créé est tellement riche, où tu planifies sans cesse, jauges les meilleurs moyens d'action, réfléchis à l'intrigue, situes les personnages, et évolues à travers une cartographie de l'imaginaire qui ne cesse de se densifier au fur et à mesure de l'expérience.

Enfin, pour finir comment ne pas mentionner l'incroyable écriture du récit et de ses personnages qui demeurent au coeur de l'expérience et qui est sublimée par tout l'édifice du game design. Le jeu déploie une galerie de personnages surréalistes qui ont tous leur philosophie et leurs intérêts propres, mais aussi une part d'humanité viciée qu'il appartient au héros de restaurer ou de condamner, et la progression tisse une intrigue qui ne cesse de se complexifier et de se politiser.


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Pathologic 2 est l'une des expériences les plus intenses, les plus éprouvantes et les plus hallucinatoires que j'ai vécues avec le JV. Il explore et repousse les possibilités du medium tel que seul une équipe avec une vision chevillée au corps peut accomplir. Le jeu déborde de moments effrayants, droles, intrigants, et t'emporte dans une spirale d'émotions et de questionnements comme peu d'oeuvres d'art peuvent y parvenir, et malgré le pavé j'ai l'impression de n'avoir pu aborder qu'une partie minime de l'expérience, que ce soit en termes de mécaniques ou de narration, qu'il est de toutes manières impossible de résumer en un seul texte. Il m'a obsédé pendant tout le long de ma quête, et me hantera encore longtemps.

Quel chef d'oeuvre putain


Petite bibliographie pour compléter:

- Le numéro de Bullet Points Monthly sur le jeu, qui traite notamment (entre autres) de son rapport au colonialisme, une mise en perspective du jeu par rapport à la gestion du Covid, et la difficulté et le stress intense qu'elle implique chez le joueur https://bulletpointsmonthly.com/issue/pathologic-2

- Une analyse de la "mind map" du jeu, manière super originale et très réussie d'aborder le trope commun du journal de quêtes dans les RPG, qui remet en question la hiérarchie des objectifs de jeu et la construction narrative https://www.gamedeveloper.com/design/pa … ually-read

- Un papier académique super intéressant sur l'économie du jeu, qui va à rebours du sous jacent capitaliste et mélioratif des systèmes de progression classiques du JV (je l'ai beaucoup paraphrasé mais sa lecture est bien plus riche et intéressante) - l'article traite du 1 mais s'applique très bien au 2 aussi http://todigra.org/index.php/todigra/ar … iew/64/112

- Il existe plein d'autres articles super intéressants et critiques youtube sur le jeu

Un petit meme pour finir en toute légèreté

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