Le décodeur
Mariole

Yuugen - 02 Jul 2023

J'avoue c'est un peu facile, mais je ne parle pas du fait de s'exprimer sur son pays, mais de se penser plus légitime pour parler des vrais problèmes alors qu'on est à des milliers de km de là et que sa seule exposition c'est des threads Twitter. Et c'est bien connu, les électeurs de gauche habitent tous dans les petits villages bien blancs où la NUPES obtient ses meilleurs scores.

Edit : François Ruffin qui apporte un peu de dignité au milieu des réactions hystérisées

Amiens, comme plusieurs villes dans le pays, enchaîne les nuits où des groupes de jeunes se livrent à des violences, des dégradations, des pillages.
Le food-truck salon de thé d'Hakim, au Colvert, a été incendié :
« Je suis arrivé à 1h du matin parce qu'on m'a prévenu que mon barnum allait être pris pour cible. Mais c'était trop tard, le truc était déjà en flammes. Comment je fais maintenant ? Moi il me faut un endroit pour bosser, sinon c'est la fin. Je vais pas arrêter de bosser parce que des gamins ont décidé de faire n'importe quoi. »
Le local de l'association de Synapse 3i, qui œuvre à la réinsertion, a subi les mêmes dégâts. Les pompiers, que je remercie, sont intervenus à temps pour sauver un bout de l'atelier de menuiserie. Marc Leclercq, responsable de l'association :
« C'est incompréhensible ce qui s'est passé. Là, ce sont toutes ces familles qui sont en pleurs, qu'on essaye de soulager moralement. On en a pour près de 300 000 euros. On n'avait pas loin de 40 machines à coudre qu'on avait achetées pendant la crise sanitaire.
Tout ce qu'on veut c'est éviter de mettre nos 100 salariés au chômage technique. On a des partenaires qui sont prêts à nous fournir des machines, du matériel, des ressources, pour redémarrer dès lundi. Ce qu'il faut, de toute urgence, c'est un local. Un bâtiment avec quatre murs, un toit, de quoi simplement accueillir les travailleurs. Il y a des gens qui ont lancé une cagnotte pour nous aider, on les remercie évidemment. »
Le club ASC Boxe à Etouvie, pareil. Mohammed Oudji, fondateur du club, et figure historique du quartier :
« C'est l'histoire d'une vie. Ma famille a contribué à la réussite de cette salle à travers nos résultats sportifs, à travers tout ce qu'on a enseigné auprès des jeunes. On a essayé de prôner pendant des années un discours de tolérance, d'acceptation, de respect et là, tout est parti en fumée. C'est attristant. Je vous avoue avoir les larmes aux yeux.
Cette salle incarnait le vivre-ensemble, toute la partie éducative de nos jeunes, qu'ils soient issus du quartier ou ailleurs. Elle incarnait le fait de s'entraîner en commun garçons et filles. Socialement parlant, ça fonctionnait très bien puisque les résultats ont été très probants depuis de longues années. Je suis peiné, je suis meurtri. »
L'école maternelle Michel-Ange, à Saint-Ladre, brûlée. Une professeure :
« La première nuit d'émeutes, nous avions éteint une poubelle incendiée par des jeunes. Ils s'étaient moqués de nous en nous assurant qu'ils s'en prendraient à l'école. C'est ce qu'ils ont fait cette nuit. C'est dégueulasse. Au final, ce sont les enfants qui trinquent, ils n'ont rien à voir avec la mort du jeune Nahel. »
Une maman : « Qu'est-ce qu'ils font ?!  C'était déjà un coup dur. Les petits avaient répété leurs danses, leurs chorégraphies. Ils avaient préparé des affiches et aujourd'hui on apprend que l'école a cramé dont la classe de ma fille. C'est inexcusable. Je ne leur pardonnerai jamais. Je conçois que l'on puisse être en colère mais jamais je n'appellerai à casser. Il y a d'autres moyens de faire entendre sa colère ! »
La médiathèque flambant neuve d'Etouvie, qui devait ouvrir à la rentrée, calcinée. Un agent :
« On ne verra jamais la couleur de cette médiathèque, ils vont la finir, c'est sûr ! Hier soir, ils tapaient dans les vitres qu'ils ont cassées et tapaient sur la façade en bois avec des barres. Les enfants peuvent dire adieu à leur médiathèque. »
On pourrait ajouter le centre animation jeunesse Odyssée, la piscine Le Nautilus, l'école maternelle Jacques Prévert à Amiens-Est. Et du mobilier urbain, des bus, parfois des gens qui passaient par là, qui n'avaient rien demandé. Jusqu'à des élus agressés.
Ces témoignages, vous les retrouvez, à l'identique, dans la presse locale, ici le Courrier picard, chez vous L'Est Républicain, Sud-Ouest, Le Parisien. Un mélange de tristesse, de sidération, d'incompréhension face à une violence aveugle.
J'expliquais, dans une note de blog, le grand angle, les causes profondes de ces émeutes, de cette révolte, le chemin pour en sortir, pour rendre justice à la famille de Nahel, pour reconstruire une confiance entre police et population.
Mais les habitants, eux, ont le nez dedans. C'est leur quartier, leur école, leur commerce, leur voiture, leur bus pour se rendre au boulot, au supermarché : « j'ai pas dormi de la nuit », « j'ai peur pour mes gamins ».
On se réveille le matin, et on jette un œil à la fenêtre pour vérifier que la voiture est encore là. On allume le téléphone ou BFMTV pour voir où ça en est. A la caisse du supermarché, à l'arrêt de bus, en famille, entre amis, on fait le bilan, on prend des nouvelles. Avec un même mot d'ordre, sur toutes les bouches : « faut que ça s'arrête, c'est pas bien ce qu'ils font ». Et d'abord, par les premiers concernés, au cœur des quartiers.
« Faut que ça s'arrête ». Le plus souvent accompagné de « même si je comprends la colère pour le petit Nahel ». C'est en gros la tonalité générale, du troquet du coin au communiqué de l'équipe de France de football, en passant par les maires concernés. Je l'ai déjà dit, écrit : on parle de jeunes qui n'écoutent pas leur propre grande-sœur, grand-frère, leur propre parent, alors l'« appel au calme » (que je souhaite, évidemment) du député, avec son écharpe en bandoulière, j'ai pas de problème à le faire, mais qui croit franchement, que ce sera l'acte décisif pour l'apaisement…
Par contre, dire toute ma solidarité avec « les premières lignes » qui, en l'attente d'une réponse politique à la hauteur, font tampon, tant bien que mal. Maires, élus locaux, services municipaux, parents, associatifs, médiateurs sur le terrain. L'apaisement, c'est eux, c'est elles qui le portent concrètement, tous les soirs, en faisant le piquet devant les écoles, des tournées dans les quartiers. Si la pression retombe un peu, nous leur devons.
Ce sont eux, ce sont elles que le pouvoir aurait dû écouter, depuis des années. Ce sont eux, ce sont elles qu'il faut soutenir maintenant. Ce sont eux, ce sont elles qu'il faut mettre en avant. Ce sont eux, ce sont elles qui doivent tenir le stylo pour construire la paix civile et la justice sociale de demain. Et, surtout : les moyens, les outils, la reconnaissance de leur travail.

Ancien-Combattant : cela fait plusieurs messages que je suis 100% d'accord avec toi. Lequel de nous deux doit s'en inquiéter ? smiley61

Mariole (02 Jul 2023)