JVRS

Nyzer - 20 Mar 2023

Un des commentaires sous la video :

En tant qu'ancienne dev de Ubi Lyon, je peux peut-être t'apporter quelques réponses, cher Plouf. Punee est certes un studio de développeurs professionnels, mais ils étaient sous traitants. Tout comme Singapour à la base. La nuance entre les studios sous-traitants et à licence est importante chez Ubisoft, je vais te détailler ça.

Les studios à licence ont plusieurs avantages : liberté créative, prestige, possibilité de travailler sur ses propres projets, d'avoir des équipes fixes focalisées sur sa licence, et donc notamment d'avoir des gens qui peuvent travailler correctement sur les moteurs et les connaissent sur le bout des doigts, chose primordiale pour développer correctement un jeu. Généralement leurs équipes seules ne suffisent pas à travailler sur leurs projets et ils doivent faire appel à d'autres studios Ubi de sous traitance (par exemple pour notre projet on avait Punee pour le QA, Shangai pour la 3D, Paris et Bucarest pour du dev par exemple).

Les studios sous traitants doivent se vendre à des projets pour recevoir des fonds, car les studios commanditaires les paient pour louer leurs équipes. Equipes qui, bien sur, n'ont pas leur mot à dire sur les projets. Comme n'importe quel boulot me direz-vous, mais quand tu te retrouves sur un jeu de voiture moyen et que dans le bureau d'à côté ça travaille sur The Division, il peut y avoir des frictions. Certains studios sous traitants ont aussi des spécialités.

Le truc c'est que filer une licence d'une envergure AAA à un studio qui n'en a jamais fait de manière autonome avant, bah c'est comme filer des planches, un marteau et des clous à un ado et espérer qu'il te fasse une armoire parfaitement d'équerre du premier coup. Ces studios manquent d'expérience et n'arrivent donc pas à sortir ces jeux trop ambitieux, ce qui est d'autant plus difficile qu'à côté on a des sorties de grosses productions comme AC et Far Cry par exemple. Ils doivent utiliser des outils produits par d'autres studios et, si le partage de données, de connaissances et de logiciel est un point fort d'Ubisoft, il reste tout de même compliqué d'aller trouver les gens adéquats quand on a un problème avec les outils. Vu la masse de la structure, la communication n'y est pas si fluide que ça, entrainant des difficultés ou des problèmes de délais.

Il faut aussi comprendre que, même si tout le monde est sous la bannière "Ubisoft", chaque studio reste une entité indépendante avec son propre management, ses réussites et ses soucis. De mon expérience, ils ont un vrai problème de haut management, avec des gens qui vont vendre la lune à Guillemot (ou Ascouet avant lui) et qui ne pourront pas la réaliser. J'ai bossé sur une extension de TC2 en 2018, elle devait être produite en un an. A ce jour elle n'est toujours pas sortie et personne ne sait que faire de ce truc qui n'est pas un jeu, mais qui en même temps a couté trop cher pour être abandonné.

Et c'est dramatique, parce que les équipes bloquées sur ces projets qui ne sortent pas font face à plusieurs problèmes que des gens extérieurs au jv peuvent ne pas envisager. Ils ne peuvent pas justifier de leur expérience, car le produit n'est pas sorti, ne peuvent pas garnir leurs portfolio, noter le nom du jeu sur leur CV pour les cas où ils ne sont pas annoncés et surtout ils sont bloqués sur ces projets, donc aucune échappatoire en interne non plus. Ce sont des équipes qui ne peuvent plus participer à d'autres projets viables, et qui se font arroser pour maintenir le bateau à flot envers et contre tout. Je pense qu'il doit y avoir une logique de communication avec les investisseurs aussi, pour la plupart étrangers aux JV, qui eux veulent voir les projets sortir parce qu'ils ont payé pour ça, mais c'est de la spéculation

Ah et pour le cas spécifique des remake/remasters, il faut savoir que la tech et la documentation de ces vieux jeux est souvent perdue, emportée par les équipiers qui sont partis depuis longtemps. Donc on se dit qu'un remake/remaster c'est simple, mais en fait pas forcément parce que ça demande énormément de rétro ingénieurie. La encore, c'est du vécu.