Incognigay mais pas très
Wang

hichanbis - 22 Aug 2022

Hop.

Deux ans après l'annonce des plus grands résultats économiques de son histoire, Team17 a profité du Summer Game Fest 2022 pour afficher sa bonne santé et ses nouveaux partenariats à tour de bras (aperçu d'une vie de bureau sordide avec Autopsy Simulator, de l'alléchant point and click Sunday Gold, ou encore rappel du débarquement imminent de Thymesia, disciple taïwanais de FromSoftware découvert en mars 2021). Une hyperactivité d'éditeur qui a désormais tendance à éclipser les projets maison du créateur de Worms (pas un seul jeu développé en interne prévu d'ici la fin de l'année). En soutenant la première création des sept membres d'OverBorder Studio basés à Taïwan (sans parler des coûts d'externalisation, liés notamment aux dimensions graphique et sonore), Team17 a donc cédé à son tour à la tentation du souls-like. Voie de garage ou de salut pour les développeurs, eldorado ou némésis pour les joueurs : au fond, on ne sait plus vraiment ce que ça signifie aujourd'hui. Dans le monde de Thymesia frappé par la peste, on parlerait même plutôt d'un souls-light, c'est-à-dire d'un élève poids plume (d'ascendance Bloodborne) à tous les sens du terme : un système de combat remuant et garanti sans armure de plates, une ambition et une durée de vie maigrichonnes. Presque bien, mais bien trop court.

Alors qu'un mal étrange se propage d'une région à l'autre du continent, on raconte que dans le royaume d'Hermès, haut lieu de la recherche scientifique longtemps sûr de sa force, une vague de folie aurait finalement gagné les appartements royaux et la totalité des cités. La grande Emeraude, ancienne présidente de l'institut des études alchimiques, n'aurait pas su contenir la peste hors des frontières du pays. Néanmoins, l'existence d'une technique transformant le poison en remède continue d'alimenter les espoirs les plus vifs. En particulier ceux de Corvus, guerrier mutique vêtu d'un masque à long bec, qui ne peut s'empêcher de revenir à la vie à chaque fois qu'il trépasse…

Allusions légères à la mythologie gréco-égyptienne sous le patronage de Hermès Trismégite (figure secrète, assimilée à Thot et gardienne des savoirs occultes – dont ceux de de la connaissance alchimique prétendument gravés dans la Table d'émeraude) ; ouverture du fameux atelier die and retry, dans la peau d'un chasseur solitaire au masque de peste, virevoltant entre les charniers et les maisons condamnées pour dissiper ce cauchemar ; sans oublier le filet d'horreur lovecraftienne sur la salade dark fantasy qui va bien, avec ses chevaliers morts-vivants en armures et ses bibliothèques maudites et obscures : rien de foncièrement original par ici, donc. Dans ce pot-pourri d'influences survolées, aucune inclination ne permet d'enrichir l'expérience. Et si Thymesia nous épargne le topos du dragon crachant ses flammes sur un pont, c'est moins par conviction que par manque de place - conséquence d'un jeu modeste ménageant ses efforts.

Requiem for a Scream

Présenté officiellement par ses créateurs comme un « souls-like éprouvant », cet Action-RPG reproduit, de fait, les codes les plus évidents des productions FromSoftware. La progression par étapes jusqu'au prochain feu de camp (fanal) de la zone ? À chaud, on ne s'était même pas posé la question. L'exhortation à récupérer ses âmes (fragments de souvenirs) sur le lieu de mort afin d'augmenter son niveau ? On a presque honte d'être obligé de le rappeler. Et la résurrection des ennemis après un repos consacré à remplir ses fioles de vie à ras bord ? Mais bien sûr que c'est aussi dans le contrat. Comme le running gag de la prêtresse innocente qui nous attend sagement au sanctuaire, ou bien les problèmes de caméra lors du corps-à-corps près des pattes d'un boss gigantesque.

Ceci étant, le rapprochement plus spécifique et naturel avec Bloodborne n'a pas trait uniquement à l'aspect cosmétique (masque de peste du héros Corvus, présence d'un fléau au sein d'une ville retranchée plongée dans le chaos). Le jeu d'OverBorder Studio partage avec le joyau victorien de Miyazaki le goût des explications rapides et tranchantes, favorisant la prise de risque au détriment des habitudes de vieilles carcasses, jadis planquées derrière leur bouclier près de Majula ou Lige-feu. Sans outil de protection autre que l'armure de départ, et avec pour seule arme physique le sabre – et ses moulinets – le héros de Thymesia doit rester constamment en mouvement et se montrer offensif, en profitant au maximum de la fenêtre d'étourdissement des ennemis pour les achever et récupérer une portion de vie au passage – une fois le talent débloqué. Quand on affronte plusieurs créatures en même temps, se ruer sur la première cible étourdie, donneuse de PV malgré elle, devient alors une habitude stratégique. Un principe de récompense venant contrebalancer la relative fragilité de notre personnage, et nous offrir des plages de soins régulières comme le faisait Bloodborne avec son système de contre-attaque régénérant.

Corvus corax furax
Grâce à un tableau de compétences très complet, Thymesia ouvre progressivement l'accès à plusieurs variantes de combat et différents avantages, dont certains sont si décisifs (comme la double esquive, le regain de vie et d'énergie après chaque exécution) qu'ils auraient sans doute dû être disponibles dès le début de l'aventure. Le premier contact avec le jeu aurait ainsi gagné en confort, et l'apprentissage des différents types d'armes en souplesse. Ah… sans esquive optimisée, quel enfer, cette attaque tournoyante d'un mid-boss fana du marteau, au milieu d'une arène de cirque. Mais la bonne nouvelle, c'est que même à haut niveau, il est possible de réaffecter l'ensemble des points de talents à la volée et sans surcoût. L'occasion par exemple pour les plus maladroits de supprimer la parade au profit d'une défense statique, qui laisse passer un certain pourcentage de dégâts, ou de choisir les compétences pour contrer les coups critiques de l'ennemi, en bondissant au-dessus de lui ou en se ruant au contact. Au-delà du plaisir naturel d'expérimenter de multiples combos, une telle élasticité pourra soulager vos problèmes faces à certains boss optionnels un peu trop agressifs.

The dancing plague
À cette science de l'escrime se mêle un art de la parade, de l'esquive, du jet de plumes (les couteaux mais pour les corbeaux) et surtout des coups de griffes, lesquels introduisent d'ailleurs l'atout majeur de Thymesia : la mise à disposition d'armes spéciales, dites pestiférées, extraites du corps des créatures infectées. Qu'elles soient limitées à une utilisation (arrachées à un ennemi étourdi) ou durables (construites à partir des matériaux que laissent nos victimes), celles-ci représentent bien plus qu'un complément à notre arsenal de destruction. Elles dynamisent nettement les situations et traduisent la volonté d'OverBorder Studio de créer des combats à deux niveaux, naturellement portés vers l'avant mais malgré tout stratégiques. En l'absence de jauge d'endurance limitant nos esquives et nos coups de sabre dans le jeu, l'utilisation durable des armes pestiférées reste soumise à l'état de notre barre « d'énergie », tandis que les monstres hostiles se pavanent tous avec un double duvet : leur jauge de vie traditionnelle, sensible aux dégâts à l'arme blanche, et leur jauge de « blessures », qui proviennent directement des entailles et se vident ensuite grâce à nos griffes spéciales (aussi grâce au sabre, à un degré moindre).

Problème, de telles blessures se résorbent toujours si on ne s'en occupe pas très vite. Et comme les deux barres de l'adversaire doivent être entièrement vidées pour l'étourdir, il est impératif de changer de registre au bon moment, de ne pas s'acharner avec la lame à tout prix. Ni même avec une seule arme pestiférée, étant donné que leur puissance, leur portée et leur style (curatif ou létal, assaut lent ou rapide) dépendent aussi bien du niveau d'amélioration propre que de l'identité du « donneur ». Allonge et durée de charge des coups de griffe, bulletin de santé évolutif de la menace : il existe une vraie synergie entre les pas de danse réguliers effectués avec le sabre, un peu limité au niveau des combos, et la fureur des armes pestiférées, soumises à une utilisation contextuelle.

FromSoftaware

En tant qu'Action-RPG plus nerveux que la moyenne, le titre ne souffre pas tellement d'un problème de gameplay, mais davantage d'un manque d'envergure. Avant de s'inscrire dans le sillage des productions FromSoftware, les créateurs de Thymesia ont dû passer tellement de temps à l'armurerie qu'ils en ont oublié de lever les yeux vers le ciel de Yharnam. Où sont passés tous ces mondes si difficiles à bâtir mais si faciles à aimer ? Si bien conçus et si beaux qu'un seul panorama donne envie de s'y perdre ? Au royaume d'Hermès que traverse Corvus, les imbrications se limitent presque à une liste de clés ramassées sur les corps des mid-boss avant d'être jetées près de portes anonymes. Les pensées partagées avec nous sont scolaires, les niveaux étriqués.

En somme, un petit tour et puis s'en va. Le vertige de l'exploration est si loin, quand il n'y a rien à attendre hormis une série d'éclairages pas trop moches. Au détour d'une étagère, en pataugeant dans les mares de sang vermillon d'un cimetière de livres, on se remet parfois à y croire, attendant qu'un grand jeu de body horror nous parvienne, qu'un soupçon de frisson se glisse en ces lieux. Mais rien, ou si peu. En avant la narration cryptique (™) et profondément paresseuse, à base de notes collées au mur par quelque habitant desséché. À peine trois zones principales nous séparent du chapitre final, lequel se résume à un duel immédiat en arène.

Insatisfaction similaire vis-à-vis des autres boss, même s'ils sont pour la plupart intéressants, voire spectaculaires au sein des missions secondaires. Mais bon, le grand nombre en question reste très relatif, puisqu'on en compte seulement trois dans le contenu principal… L'abondance de mid-boss ne pouvant servir de palliatif à chaque fois, Thymesia n'a vraiment pas assez d'atouts pour marquer la cadence : il se termine en moins de 8h en ligne droite, potentiellement le double si vous écumez toutes les missions. En l'état, il s'agit moins d'un souci de longueur théorique que d'un problème particulier lié à sa courbe de progression. Le plus triste avec ce gameplay tout en rythme, c'est qu'à l'instant où l'on parvient enfin à maîtriser l'ensemble des capacités de Corvus grâce à un nombre suffisant de talents et d'armes pestiférées disponibles, les crédits de fin commencent à tomber. Oubliez le New Game +.

Alchimie de la couleur
S'il revendique haut et fort l'héritage de Bloodborne, le premier jeu d'OverBorder Studio convoque plus facilement le style Nioh par sa structure linéaire, composée de zones réduites, théâtre de missions définies entre lesquelles il est possible de naviguer plus tard, notamment pour épuiser les tâches secondaires qui se rajoutent au menu. Si ces dernières, scénarisées, ouvrent parfois des pistes nouvelles, elles correspondent pour l'essentiel à une visite des mêmes environnements (point de départ du niveau et positionnement des ennemis modifiés à la marge). Comme dans les Nioh, la téléportation sur la carte du monde – ici accessible à partir du sanctuaire - nous mène vers des boss secondaires qu'il serait dommage d'ignorer ; vers une grosse louche de défi susceptible de faire passer le goût de déjà-vu.