Yuugen

Jooz - 13 Dec 2021

Les plus méticuleux des observateurs du jeu indépendant auront remarqué, à l'annonce de Shovel Knight Pocket Dungeon en février 2020, que le développement de ce puzzle game tiré de la licence de Yacht Club Games était à la charge d'un certain Russel "Vine" Rafferty. Méconnu du grand public, Vine s'était fait remarquer en 2014 avec l'accès anticipé de Cavern Kings, un audacieux mélange entre Risk of Rain et Super Crate Box. Officiellement abandonné en mars dernier après huit ans d'errements, il laisse la place à cet étonnant match-3 dans l'univers de Shovel Knight, à mi-chemin entre Panel de Pon et Crypt of the Necrodancer.

Condition de test :
Test réalisé à partir d'une version envoyé par l'éditeur, après 16 heures de jeu, cris de joie après des boss vaincus, et mots fleuris hurlés lors des échecs précipités.

Après le jeu original, ses trois extensions (dont une affublée d'un jeu de cartes) et son propre mini Towerfall, Shovel Knight revient, cette fois sous la houlette de studios partenaires. En attendant le Shovel Knight Dig du toujours sympathique studio Nitrome, c'est l'heure de Shovel Knight Pocket Dungeon, qui balance notre cher chevalier dans des donjons qui rappellent plus Puyo Puyo que Mega Man.

Creuse-Country
Dans Shovel Knight Pocket Dungeon, il ne sera plus question de sauter et voltiger le long de stages ouvragés avec le plus grand soin, puisque chaque niveau est désormais une grosse cuve, dans laquelle vont se déverser des monstres, des blocs de pierre ou encore des potions. Attention toutefois : si le jeu règle son pas sur ceux que vous ferez dans le jeu, rester sur place n'arrêtera pas pour autant la bonne marche de la partie. Comme si le titre suivait son petit rythme de croisière bien à lui, qu'il est possible d'accélerer en jouant de manière frénétique. A la manière d'un Puyo Puyo ou un Panel de Pon, occire un ennemi fera également exploser tous ses camarades identiques et limitrophes dans un feu d'artifice de satisfaction et de gemmes rutilantes.

Vous pourrez également y trouver des potions pour vous refaire la cerise après un échange de coups trop fiévreux ou, plus intéressant, des clés pour ouvrir les coffres qui vous tomberont dessus après avoir éliminé assez d'ennemis - la progression est représentée par la petite frise au dessus du terrain de jeu. Ces malles, objets de toutes les convoitises, renferment de l'équipement (bouclier qui annule un dégât pendant un nombre donné de tours), des armes (épée de glace qui empêche les adversaires de répliquer, lance touchant sur deux cases, hache de feu qui brûle les blessés) ou encore des objets à usage limité (arrêt du temps, laser capable de griller une colonne ou une ligne entière) qui feront toute la différence entre une run réussie et un échec précoce.
Certains coffres renferment quant à eux la boutique de ce bon vieux Chester où il sera possible d'acheter des reliques, objets passifs très puissants qui ne prendront pas l'unique place de votre inventaire. Augmentation des points de vie max, vie supplémentaire, résistance aux bombes (assurément l'une des plus précieuses)... c'est majoritairement grâce aux reliques que vous pourrez tenter de vous construire un simili-build pour survivre aux niveau les plus retors.

La pelle du pied
Entre la mécanique de "case par case et tour par tour", la direction artistique tout en pixels colorés, les petits points de vie affichés sous chaque ennemi ou la manière que l'on a de rentrer dans les monstres pour les tuer, vraiment difficile de ne pas penser à Crypt of the Necrodancer pendant ses premières parties. Et c'est peut-être là une grande, terrible erreur. Car voyez-vous, la bande-son du titre, intégralement remplie de remixes des thèmes de la série Shovel Knight, est beaucoup trop galvanisante pour un titre qui demande somme toute un peu de stratégie et de réflexion. De fait, votre serviteur a passé sa première heure de jeu à mourir en boucle, bien trop chauffé par les (excellentes) auto-reprises de Jake Kaufman.

Il faudra se montrer patient, stratège presque, pour espérer progresser. Laisser quelques coffres fermés en début de partie pour se mettre quelques clés dans la besace, vite trouver un ou deux marchands pour y acheter quelques reliques surpuissantes et essayer - comme dans le premier match-3 venu - de se laisser ensevelir pour réaliser les plus grosses chaînes possibles. Et enfin, on le jure, réussir à battre cette saloperie de Treasure Knight qui nous mène la vie dure en combat de boss.
Des plaies et des boss
Car oui, vous récupérez tous vos points de vie en passant d'un niveau à un autre, mais gaffe aux portes ornées d'un crâne. Et tentez d'être en pleine forme - et, à choisir, bien armé - avant de les franchir, puisqu'elles vous méneront à un boss sans aucun espoir de régénération. Et c'est là que l'on se retrouve à jeter des fleurs à Vine et Yacht Club Games : chaque duel face à un boss devra se jouer différemment (rappelant là encore Crypt of the Necrodancer) et rappellera aux baroudeurs de Shovel Knight quelques souvenirs émus de combats acharnés. Specter Knight balance sa faux sur autour du terrain de jeu avant de se téléporter, Plague Knight jette des potions explosives dans tous les sens et Tinker Knight, fidèle à ses habitudes, intégre un énorme mecha après avoir été battu une première fois.

Si les niveaux classiques sont déjà très agréables à parcourir, les combats de boss sont peut-être les plus grandes démonstrations de game design du titre. Ne serait-ce que parce que chaque ennemi majeur battu intègre votre petit campement et devient jouable, avec ses propres mécaniques. King Knight peut charger de loin au prix d'un point de vie, Specter Knight se soigne en tuant ses adversaires mais est allergique aux potions de santé, Tinker Knight doit taper dans des blocs de métal pour se construire un mécha surpuissant à durée de vie limitée... chaque personnage jouable - on en compte une bonne dizaine - aura donc son petit twist qui change l'appréhension d'une partie. Là encore, difficile de ne pas penser à notre crypte des thanatopracticiens.

Au-delà de ses mécaniques brillantes et bien intégrées, de son adorable trogne à qui on donnerait le bon dieu sans confession et de la pléthore de contenu à débloquer, le titre se paye - comme ses aînés - le luxe d'une écriture toujours aussi fine et malicieuse, traduite avec autant de soin que ses aînés. En apparence un peu fruste, Shovel Knight Pocket Dungeon dévoile assez vite des trésors d'inventivité et de générosité, avec le talent et le naturel que l'on connaissait à Yacht Club Games, cette fois-ci apparemment transmis au prometteur Vine. Si Cavern Kings a dû être abandonné, il s'agit-là pour lui d'une entrée dans l'industrie par une plus grande porte, et on lui souhaite d'y rester le plus longtemps possible.

LES PLUS
Le mélange de Shovel Knight et du puzzle game, terriblement efficace
Du miel pour les oreilles
Combattre (et incarner) les différents chevaliers
Une écriture (et sa traduction) toujours aussi réussies
Bien plus généreux qu'il n'y paraît

LES MOINS
Le rythme du jeu, passif et actif à la fois, peut perturber au début

Verdict PlayStation 4, Nintendo Switch et PC
8
TRÈS BON
On en attendait un sympathique jeu d'arcade sans grandes prétentions et, comme toujours avec Shovel Knight, on en a eu bien plus que promis. S'offrant un game design profond et malin, un contenu généreux, une ambiance bon enfant et un enrobage délicieusement coloré, ce Shovel Knight Pocket Dungeon nous aura surpris en nous accrochant, quitte à nous priver de quelques heures de sommeil dans nos chutes les plus vertigineuses. Certains (dont Yacht Club Games) avaient déjà Vine sur leur petit radar, mais il se pourrait bien que le talentueux développeur ait droit à un petit coup de projecteur dans les années à venir. Et ça, c'est quand même une bonne nouvelle.