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L'article sur le prof. Article qui ne mérite pas forcément d'être posté ici car c'est assez sérieux, mais bon.

A Trappes, c'est l'incompréhension. Les déclarations du professeur de philosophie du lycée La Plaine-de-Neauphle, Didier Lemaire, décrivant cette commune des Yvelines comme une « ville tombée aux mains des islamistes » et où il dit « vivre dans la peur », plongent nombre d'habitants et d'acteurs publics dans le désarroi. Depuis la publication, le 5 février, d'un article dans l'hebdomadaire Le Point dans lequel il raconte son quotidien « sous escorte policière armée », il enchaîne les plateaux de télévision et les émissions de radio.
Partout, il raconte la même histoire. Le décor d'abord : la ville détient un sinistre record, celui du plus grand nombre de départs – soixante-sept – pour le djihad en Irak ou en Syrie entre 2014 et 2016. Le contexte politique ensuite : l'homme décrit des pouvoirs publics passifs et impuissants qui n'ont rien vu venir et qui continuent de fermer les yeux.
La réalité du terrain enfin, conséquence de décennies de déni : lui, contraint d'exercer son métier sous protection policière pour avoir dénoncé à plusieurs reprises les dérives communautaristes. Dans une tribune publiée par L'Obs, en novembre 2020, notamment, quinze jours après l'assassinat de Samuel Paty, dans laquelle il lançait « un appel à la résistance face à la menace islamiste ». Il y a une quinzaine de jours également, en participant à un reportage pour la télévision néerlandaise portant sur le « séparatisme » à Trappes. Contacté par Le Monde à plusieurs reprises, M. Lemaire n'a pas répondu à nos sollicitations.
Lire l'enquête : A Trappes, le tabou du djihad
Une enquête confiée à la police judiciaire de Versailles a été ouverte par le parquet de Versailles, le 26 janvier, pour « menaces sur personne chargée de mission de service public » à la suite d'un signalement de la journaliste néerlandaise qui a déclaré avoir reçu des « menaces indirectes » destinées au professeur.
« M. Lemaire saccage nos efforts »
Du côté de l'éducation nationale, c'est la « stupeur ». « Le professeur n'a jamais fait mention d'aucun incident le concernant », souligne-t-on. Ali Rabeh, le maire Génération.s (le mouvement fondé par Benoit Hamon) de la ville, se dit en « colère » face aux « mensonges » de l'enseignant qui « joue un jeu dangereux au nom de ses convictions politiques ». Tandis que Jean-Jacques Brot, le préfet des Yvelines, se dit « inquiet » des « outrances et de certaines inexactitudes » du professeur qui se montre « irresponsable » et « met de l'huile sur le feu ».
Jusqu'à présent pourtant, M. Lemaire, de son propre aveu (notamment face aux enquêteurs), n'avait jamais fait l'objet de menaces, ni de mort ni d'aucune sorte, ni de la part d'élèves, ni des habitants de Trappes, ni de ses collègues, ni sur Internet. Tout juste avait-il provoqué « quelques remous », décrit une source proche de l'enquête, sur les réseaux sociaux après sa tribune dans L'Obs puis à la suite de la diffusion du reportage néerlandais.
« Après l'assassinat de Samuel Paty, nous avons mis en place des mesures de sécurisation aléatoires, à l'entrée et à la sortie du lycée, et autour de son domicile, par précaution, mais en aucun cas une protection policière 24 heures sur 24, précise M. Brot. Trappes fait l'objet d'une attention et d'un travail minutieux des services de l'Etat, l'ancien maire, dans le déni, refusait d'accompagner nos initiatives, avec la nouvelle municipalité, il y a une totale coopération. Trappes est un terrain difficile et délicat, nous faisons de la dentelle et voilà que M. Lemaire arrive avec un bulldozer et saccage nos efforts. »
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Ces derniers mois, plusieurs commerces en lien avec des circuits de financement du djihad – une auto-école, un magasin de réparation de matériel hi-fi… – ont fait l'objet de fermetures ou de procédures de redressement financier.
Ali Rabeh évoque une ville tiraillée, qui souffre de son contexte socio-économique, « mais qui va mieux et qui s'éloigne peu à peu de sa réputation sulfureuse ». « Oui, évidemment, il y a encore des ghettos, du communautarisme, des dérives sectaires, des phénomènes de radicalisation qui inquiètent tout le monde, moi le premier, ajoute-t-il, mais nous faisons tout pour nous débarrasser de nos démons et nous y parvenons petit à petit. Les interventions de M. Lemaire font des dégâts monstrueux. »
Un « professeur modèle »
Cette polémique intervient en plein tourbillon politique local. En effet, le 2 février, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'élection municipale de mars 2020 à la suite d'un recours déposé par la liste d'opposition Engagement Trappes Citoyens qui dénonce des manquements au code électoral. Ali Rabeh a fait appel de cette décision. Le Conseil d'Etat devrait trancher dans les six mois. En attendant, il reste maire de Trappes, mais un premier édile fragilisé. Un boulevard pour l'opposition et son candidat Les Républicains malheureux aux municipales, Othman Nasrou, premier vice-président de la région Ile-de-France et proche de sa présidente, Valérie Pécresse, qui apporte publiquement son soutien au professeur.
Professionnellement, Didier Lemaire est bien noté par ses élèves, ses collègues et la direction de son établissement. Il est décrit comme un « professeur modèle qui fait un travail remarquable depuis vingt ans », déclare une source proche du dossier.
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L'incompréhension est d'autant plus grande au sein de l'éducation nationale que le lycée La Plaine-de-Neauphle, qui compte 740 élèves, est un « établissement tranquille et plutôt attractif, sans faits majeurs ni mineurs liés à des phénomènes de radicalisation, malgré quelques faits de violence ponctuels tels qu'une intrusion extérieure ». Dans ce lycée qui met le paquet sur la promotion de l'excellence, une vingtaine de jeunes sont désormais mentorés par des élèves de l'ENA dans le cadre d'un nouveau partenariat.
Si la minute de silence avait été compliquée à gérer en classe après les attentats de Charlie Hebdo en 2015, elle n'a suscité « aucun incident, contrairement à d'autres établissements du département », insiste-t-on à l'éducation nationale, à la suite de l'assassinat de Samuel Paty. La tribune de M. Lemaire dans l'Obs avait bien provoqué l'incompréhension des élèves de l'une de ses classes de terminale, mais l'affaire avait rapidement été apaisée après une discussion avec le proviseur puis une analyse du texte avec un professeur de lettres.
Le professeur a refusé d'être transféré
Après avoir déclaré dans la presse attendre son « exfiltration » de l'établissement, M. Lemaire a finalement refusé d'être transféré comme cela lui a été proposé lors d'une réunion, lundi 8 février, avec la directrice des ressources humaines du rectorat de Versailles et l'inspecteur académique des Yvelines.
Depuis quelques années, l'enseignant multiplie les contributions engagées au sein du magazine Causeur notamment, marqué à droite, et sur Internet, en partageant ses interventions sur le site Dire-et-agir, qui se décrit comme un « cercle de réflexion et d'action contre l'emprise islamiste ». Un personnage qui s'inscrit dans la « tradition marxiste laïque » de ces villes de banlieue parisienne longtemps rouges (communistes), très attaché « à une vision militante d'une laïcité de combat, dans la ligne du Printemps républicain », analyse le préfet Jean-Jacques Brot.
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Le professeur est le secrétaire national du Parti républicain solidariste, un petit parti dont les « membres fondateurs de Forces laïques » dénoncent notamment les phénomènes de repli identitaire et dont la page d'accueil propose un texte intitulé « Professeurs des écoles en danger » dénonçant la multiplication des attaques contre l'école et les enseignants depuis l'assassinat de Samuel Paty.

Louise Couvelaire