1994 : la fin du jeu vidéo.
Tchiko

Marks - 04 Jul 2017
Pour moi les jeux oldschool sont plus comparables à de la musique.
Leur structure plus linéaire invite à apprécier le design du jeu articulé autour du temps comme la partition d'une musique, durant un niveau qui se déroule un peu comme une des pistes d'un album. On est transporté pour un voyage comme dans un train dont le moteur est le temps qui passe. On se frotte les mains par avance en se demandant : qu'est ce que l'esprit du concepteur nous a concocté comme mff… « élaboration mentale » ? Une grande partie du plaisir du joueur réside dans l'appréciation par la lecture, lors de ce voyage, de ce que les développeurs ont su élaborer de singulier dans le design du jeu.
Et comme en musique, la qualité se trouvera dans une œuvre épurée qui arrive à construire quelque chose de fort et singulier avec peu, sans s'égarer, ce qui contrairement à ce que pense le profane, demande un travail sophistiqué de taille/coupe, tel celui d'un sculpteur. Comme pour composer de la musique. L'œuvre doit paraître solide telle une figure géométrique élémentaire mais que l'on n'aurait pourtant encore jamais vu...
C'est une forme d'art en quelque sorte. Ainsi le jeu vidéo moderne ne remplace pas l'expérience singulière d'Outrun ou Space Harrier par ex.

Je trouve le design oldschool plus « fort » que dans le jeu vidéo moderne. On parle souvent pour ces vieux jeux de devoir « respecter le design » afin de réussir à jouer correctement, cela fait parti du plaisir de ces jeux aux possibilités pourtant bien plus réduites que les jeux modernes. Mais pour respecter le design et ses contraintes il faut l'entrevoir de manière active et cela demande de l'expérience, de la culture, de la discipline et de l'imagination.
En comparaison le JV moderne est plus fourre tout dans son gameplay, la technologie apportant des possibilités de création post-moderne qui donne plus dans la somme de possibilités (souvent recyclées) créant un tout informe mais heu fonctionnel, « réaliste », plus "logique" et donc lisible, avec peu de personnalité. Alors certes, cela permet de donner au joueur les outils nécessaires pour s'affronter entre geeks, mais tout le plaisir d'une lecture solitaire et qualitative d'un design à travers le simple temps parcouru sur un niveau passe à la trappe.
C'est un peu comme passer d'un poème à la notice d'instruction d'une machine à laver.

La notion de rythme est évidemment importante, et on en vient à celle de répétition.
Un mécanisme servant de base va être décliné dans ces jeux de différentes manières, utilisé à travers différents contextes, sans partir dans quelque chose de différent sinon on brise la cohérence de l'œuvre et le mécanisme d'élévation spirituelle qu'elle procure (comme lors de l'écoute d'un morceau de musique, en moins fort bien sûr). On reste donc dans la nuance, mais qui demande de la subtilité si ce n'est pas du génie parfois. Rolling Thunder 2 que je suis en train de faire sur MD est un parfait exemple où l'on ne trouve pas l'habituel grand écart proposant des phases à véhicules servant de variation, et qui pourtant arrive à se renouveler tout en restant très cohérent, stimulant à chaque niveau, sans temps mort.
C'est quelque chose qu'on retrouve encore parfois dans certains jeux de nos jours, plus dilué dans un tout.
Mais la répétition passe aussi par les nombreuses parties que l'on enchaine en reprenant à chaque fois le jeu du début, rappellant dans son fonctionnement le plaisir que l'on a à écouter un album pour la 57ième fois. Car la pratique de ces vieux jeux fait appel à la mémoire, ce que beaucoup de joueurs vont dénigrer, à tord. Je m'explique.
Pour progresser de manière quasi optimale à travers les niveaux de ces jeux oldschool, il faut non seulement les avoir parcouru plusieurs fois afin d'en avoir compris le design (et bien sûr développer certaines compétences, tout ne tourne pas autour du par cœur non plus, voir les joueurs habitués au 1CC, très polyvalents), mais aussi bien connaitre et retenir les pièges et les subtilités qui nous attendent et qui vont se succéder dans le temps, ainsi que les bonus cachés etc comme on retient la mélodie d'une musique qu'on écoute. Alors que le JV moderne a lui tendance à nous donner visuellement toutes les informations nécessaires pour traiter chaque nouvelle situation, dans une logique de lisibilité et d'équité.
Ainsi l'avantage qui découle de cette mémorisation (outre celui d'éviter d'enchainer les soupes ludiques sans s'en rendre compte, amorphe, pendant des heures, en s'accrochant à l'histoire en mousse d'un jeu vidéo, et se déconnecter spirituellement en passant en mode auto qui dépend seulement de/développe nos compétences/automatismes de gamers de mes deux) c'est qu'après avoir laissé tomber notre jeu oldschool pendant quelques temps, on y reviendra toujours avec le même plaisir. En partie à cause du fait que l'on aura forcément oublié certains détails nécessaires (même en pratiquant d'autres jeux du même genre, ce qui n'est pas le cas avec le JV moderne où les compétences sont plus transversales) et qu'il faudra faire à nouveau un petit effort de mémorisation, de restitution. C'est un plaisir comparable à celui de relancer, lorsqu'on ne l'a pas écouté depuis longtemps, un de ses morceaux favoris. On se rappelle à nouveau, on refait ce voyage intérieur de quelques minutes, on accède à des sensations qui vont par la suite s'évanouir tout en laissant leur empreinte. Puis on y reviendra encore et encore pour se connecter quelques minutes à cet espace temps ouvert par une partie de jeu vidéo, comme c'est le cas avec un morceau de musique. Avec la dimension jeu qui lui est propre.
Les jeux oldschool sont de ce fait des expériences plus intemporelles que le format JV moderne qui, à vouloir être trop fonctionnel, se remplace lui-même très facilement.

Tout ce ressenti du design, son appréciation par le joueur, se déroule seulement pendant quelques minutes où comme en musique, notre esprit semble alors être un peu plus en connexion avec le temps qui passe, comme quelque chose qui se déroule, et ainsi peut-on créer un sentiment de mélancolie.
C'est aussi une des raisons pour laquelle l'absence d'input lag de ces vieux hardware est nécessaire, pour pouvoir établir cette connexion quasi physique. Et l'image lumineuse d'un CRT, ses couleurs et le quasi cubisme du visuel des premiers jeux vidéo doivent être aussi pour quelque chose dans cette sorcellerie.