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Chronique : NINTENLEAKS

Le fabuleux destin de... - Par KamiOngaku - 16 Décembre 2014 16:51:50

Ils sont l’un des secrets les mieux gardés de l’industrie. Orfèvres de la communication tout autant que maîtres en manipulation des médias, cette élite méconnue façonne, année après année, le mythe du jeu vidéo, et surtout de ses « grands créateurs ». Inspiré par l’expérience Wikileaks, l'un d'entre eux se met aujourd'hui à table et se confie à Gamerama. Pas n’importe lequel : Tengo K., ex-Nintendo. Probablement le meilleur d’entre tous. Récit.

Storytelling


Nous rencontrons notre homme en terrasse d'une célèbre brasserie de Saint-Germain-des-Prés. Bientôt 60 ans, vouté, le crâne dégarni, le regard inquiet, c'est un homme traqué que nous avons en face de nous. Depuis son départ de Kyoto avec armes et bagages il y a dix-huit mois, il vit terré à Paris. Il faut dire que, au cours de sa carrière chez Nintendo, Tengo K. a gravi tous les échelons, jusqu'à diriger, à partir du milieu des années 90, une cellule spéciale rattachée directement au P-DG. Sa fonction ? Habiller de belles histoires à destination de la presse les décisions marketing de Nintendo. « Je crois que vous appelez cela le storytelling, en Occident ? ».

Mais pourquoi avoir tout plaqué ? Il nous l'explique sans détour : « C’était en début d’année dernière. Après 6 semaines à préparer la conférence du prochain E3, à suer sang et eau pour masquer l'impasse dans laquelle nous étions, j'ai craqué ». Démission remise, il partait aussitôt pour Paris. Pris au dépourvu, Nintendo annonçait dans la foulée l'annulation de toute communication lors du salon, provoquant incompréhension des fans et stupeur des médias.

Il en vient à l’épais dossier sur lequel ses doigts s'agitent nerveusement depuis le début de notre entretien. « J'ai tout, là-dedans. Tout. Des comptes-rendus, des notes internes, des courriels de la direction, mille projets de slogans, tout ce qui nous a permis de mener les journalistes en bateau pendant toutes ces années. 20 ans de mensonges. Classés par ordre chronologique ». La consultation des documents s'avère édifiante.

Insectes et temps de chargement


Le début de son ascension remonte à la gestion de l’annonce du support cartouche de la N64. « J'étais un jeune communiquant. Un jour, Yamauchi me fait venir dans son bureau. J'étais très impressionné : c'était un privilège. Il me fait asseoir, et après un long silence, me demande sans détour si j'ai une idée pour vendre à la presse le choix de rester sur cartouche pour cette nouvelle génération. Et j'ai eu cet éclair de génie : « Chez Nintendo, nous pensons d’abord au confort des joueurs. Nous voulons donc pour eux une expérience sans temps de chargement ». En interne, on savait tous que la vraie raison tenait simplement au fait que le vieux était conservateur comme Kenjin [visiblement une expression japonaise, que nous avons eu du mal à saisir, ndlr] et radin comme pas deux. Mais le coup des temps de chargement, ça a cartonné ! ».

La glace brisée entre nous, Tengo K. devient intarissable. Il insiste notamment sur le rôle de Shigeru Miyamoto, qui fut l’objet de quelques beaux moments de storytelling. « Presque une deuxième maman pour bien des journalistes du milieu, c’est le vecteur rêvé pour quelqu’un comme moi. Un jour, il vient nous voir avec sa nouvelle licence. Dix ans que tout le monde attendait ça, vous pensez si on était heureux. Pas de bol, c'était Pikmin. D'informes bestioles jaunes, rouges et bleues, qui se baladent dans l'herbe. Un sacré défi à marketer ! C'est là que j'ai eu l'idée de Miyamoto dans son jardin, observant les insectes, et se disant que ce serait chouette d'en dériver un jeu vidéo. C'est con, non ? Bah croyez-moi ou pas, Miyamoto l'a répété dans chaque interview, et l'histoire a fait le tour du monde. »

Jason ! Jason !


Et cet homme qui attend la réponse de l’administration française pour son droit d’asile, que pense-t-il de ses homologues de son pays refuge ? « Votre nation a, sur ce point comme sur d'autres, eu un train de retard. Et même aujourd'hui, les résultats sont décevants. Franchement, quand David Cage vous raconte que l'idée d'Heavy Rain lui est venue en perdant son gosse dans un supermarché, lui-même n'y croit pas... Comment voudrait-il nous en convaincre ? ». Alors, rien à sauver de son pays d'adoption ? Ses yeux scintillent : « Si, bien sûr, un cas d'école de la profession : Peter Jackson qui choisit l'équipe de Michel Ancel pour son jeu King Kong, parce qu'il a joué et adoré Beyond Good & Evil. C'est absolument génial ! Vous faites la promotion de deux jeux en même temps, vous enrôlez d’office une star du cinéma hollywoodien, tout est parfait. Et les journalistes ont été d'une complaisance totale ! Plus c'est gros, plus ça passe, comme on dit au Japon (rires). »

Notre entretien touche à sa fin. Nous lui posons une dernière question : pourquoi parler aujourd'hui, au risque de mettre sur le flanc une industrie japonaise déjà fragilisée ? « Pas pour l'argent, contrairement à ce que l'on dira. Je ne monnaie pas mes interviews, je n'ai pas de projet de livre. Non, simplement pour l'honneur. Comment continuer à se regarder tous les matins dans une glace, après avoir été l'inventeur du concept de Nintendo Difference ? Je ne voulais pas qu'un jour, tombant par hasard sur des documents compromettants, mes petits-enfants me rejettent en apprenant mon vrai métier ». Son vrai métier ? « Bien sûr ! Par honte, je n'ai jamais révélé à mon entourage ma véritable profession. Ma mère est morte en me pensant comptable chez NEC... ».



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